Chaque année, le Financial Times, Forbes, et QS annoncent leur classement mondial des meilleurs programmes MBA. Et chaque année, c’est la surprise de voir tel MBA gagner dix place et tel autre en perdre 7 ou 8. Pour l’édition 2024, le Financial Times à décider de frapper en fort proclamant le MBA de la Bocconi à Milan comme étant le 3éme meilleur au monde, devant celui de la London Business School, de Harvard et de Stanford ... Soyons sérieux un instant, je vous mets au défi de trouver un seul recruteur ou chasseur de tête non-Italien qui considère le MBA de la Bocconi supérieur à celui de Stanford. Nous, les professionnels des admissions, nous connaissons la vraie valeur de chaque MBA sur le marché et leur retour sur investissement pour chaque type de profil. Et nous retrouvons donc à devoir expliquer à nos candidats pourquoi les classements MBA n’ont aucune valeur réelle au-delà de faire le buzz et de créer de la hype. Reconnaissons que le but premier de ces classements n’est pas d’orienter les candidats mais de vendre du clic et de créer l’illusion d’une dynamique dans un marché qui reste très statique et assez ennuyeux (pour rappel, en 2020 Bocconi était à la 29éme place du classement Financial Times). Il faut des années pour établir la réputation d’un MBA au niveau régional ou mondial, et les grands écarts que l’on peut constater sur les classements d’une année à l’autre pour les mêmes écoles sont en complète contradiction avec ce principe. Même les tableaux de la Premier League anglaise ou de la Bundesliga allemande ne changent pas autant entre chaque championnat ! Alors comment les organismes concernés peuvent-ils justifier autant de variations annuelles dans leurs classements ? Commençons par la méthodologie : pour attribuer un rang à chaque école, les organismes font la moyenne de plusieurs facteurs : niveau du réseau des anciens élèves, salaire moyen à la sortie, % d’augmentation du salaire, nombre de professeurs détenteur d’un doctorat, mobilité internationale, % d’étudiants internationaux, bilan carbone de l’école, etc. Là où l’organisme peut allégrement manipuler les chiffres, c’est qu’il n’attribue pas le même poids à chaque facteur… c’est ainsi que l’on constate que si la Bocconi n’a franchement pas un bon niveau de réseau d’anciens élèves (38éme mondiale) ni un bon niveau de progression de carrière (43éme mondiale), elle a en revanche la première place pour son bilan carbone (1er mondiale). Il suffit donc pour le Financial Times d’attribuer un poids de 10 pour le facteur Bilan Carbone relatif aux autres facteurs et le tour est joué! Et pourtant je suis le premier à mettre en avant la nécessité de passer à une économie 100% circulaire, d’éliminer les énergies fossiles du mix énergétique mondial et de sanctionner lourdement le gaspillage à grande échelle de l’obsolescence programmée. Le problème, c’est que la variable Bilan Carbone du classement du Financial Times ne prend en compte que le bilan carbone du campus de l’école en question, pas le contenu des cours de Sustainability Management ou les relations de l’école avec les industries polluantes de la planète! Ainsi, Bocconi peut envoyer des centaines de candidats chez le pétrolier ENI, le fripier fast-fashion Zara ou la compagnie aérienne Alitalia, du moment qu’il y a deux ou trois panneaux solaires sur son bâtiment principale flanqué d’une poubelle de compostage, tout vas bien! Mais alors, si l’on ne peut pas faire confiance aux classements, à quels saints les candidats peuvent-ils se vouer? Il existe heureusement des constantes reconnues par le marché et par les recruteurs et les chasseurs de tête : il s’agit des M7, M10, et M15 pour les Etats-Unis et des E7 et E11 pour l’Europe. Ces classement informels sont le produit du consensus des acteurs du marché, et malgré le fait qu’ils ne prennent pas en compte combien de variétés de steak de tofu sont proposés à la cantine du campus, ils sont solides et reposent sur une combinaison de puissance du réseau de l’école, progression de carrière post-MBA, et Retour sur Investissement pour les candidats. Les classements ont encore de beaux jours devant eux car les écoles courent toutes derrière comme les pays courent derrière les notations de Moody’s. A l’exception d’écoles comme l’IMD, qui ont compris depuis longtemps que les dés étaient pipés et qui se concentrent sur la valeur ajoutée qu’ils peuvent apporter à leurs élèves plutôt que d’attendre un hypothétique et aléatoire retour en grâce dans les classements.
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